GÉOLOGIE DE L’INGÉNIEUR

GÉOLOGIE DE L’INGÉNIEUR
GÉOLOGIE DE L’INGÉNIEUR

La géologie de l’ingénieur (Engineering Geology ), appelée aussi dans un sens restrictif géologie du génie civil, applique les principes et les méthodes des sciences minérales et connexes aux travaux de l’ingénieur. Ce dernier ne peut en effet négliger ni les caractéristiques des sols, des roches, des massifs rocheux et des eaux souterraines, ni le rôle éventuel des processus géologiques en action ou potentiels. Assumant ainsi la jonction entre les observations du naturaliste et l’art de l’ingénieur, la géologie de l’ingénieur se trouve tributaire à la fois des conditions naturelles d’un site ou d’un territoire et de la nature d’un projet, et doit faire appel, entre autres disciplines, à la géologie classique, à la pétrographie, à la mécanique des sols et des roches, à la géotechnique et à l’hydrogéologie. Son originalité réside dans la multiplicité de ses sources, la diversité de ses méthodes et la spécificité de ses objectifs, bien que son but ultime se résume à la définition complète et précise des conditions naturelles et de leur évolution prévisible, que l’ingénieur doit connaître pour maîtriser l’environnement en s’y adaptant.

Située au carrefour de sciences et de techniques diverses, la géologie de l’ingénieur implique un travail d’équipe. Les résultats obtenus doivent, d’autre part, être non seulement interprétés collégialement mais aussi présentés sous une forme utile et adéquate aux ingénieurs, aux architectes et aux planificateurs ainsi qu’à des interlocuteurs inhabituels comme les promoteurs, les fonctionnaires, les sociologues, les économistes, les juristes ou les hommes politiques.

La géologie de l’ingénieur a pris un essor considérable depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Elle a acquis une identité propre, comme en témoignent les nombreux traités ou revues scientifiques qui lui sont consacrés et les congrès et colloques organisés par des associations internationales et des comités nationaux, qui groupent des milliers de spécialistes et un nombre exceptionnel d’adhérents non géologues.

Stimulée par les besoins en constante augmentation de la société industrielle, et les impulsions émanant des sciences et techniques dont elle procède, cette branche particulière de la géologie appliquée connaît des prolongements remarquables: géologie urbaine dans les zones d’habitat où s’accumulent les sujétions et géologie de l’environnement, à laquelle incombent, au-delà des réalisations immédiates, la prévision et l’élimination de dommages dus, à moyen et à long terme, à l’intervention de facteurs naturels et anthropiques, et à leurs interactions.

L’ampleur des recherches sur le terrain et dans les laboratoires, l’instauration d’enseignements spéciaux, la large diffusion des résultats sous la forme de case histories (cas particuliers), l’utilisation des moyens de l’informatique et de la modélisation témoignent enfin du rôle socio-économique de la géologie de l’ingénieur et de son impact sur l’opinion publique. Dans la nécessaire coopération mondiale, elle occupe de plus une place privilégiée pour le transfert de connaissances et de technologies vers les pays en voie de développement.

Une branche nouvelle de la géologie appliquée

L’application des techniques et principes de la géologie aux sols, aux roches et aux eaux souterraines vise à connaître et à interpréter correctement, avant de les transmettre aux responsables, les conditions affectant la conception, le projet, l’exécution, l’efficacité, la sécurité et l’économie des structures, et le développement rationnel des ressources minérales et aquifères du sous-sol, la protection contre les risques naturels et contre ceux qu’entraînent les activités humaines.

Son domaine comprend une telle variété d’objets et implique le recours à tant de disciplines voisines que la géologie de l’ingénieur occupe une position particulière parmi les sciences de la Terre. De fait, il lui appartient aussi bien d’étudier le site des fondations d’un barrage, d’un pont, d’une centrale nucléaire, d’une piste d’envol ou d’un immeuble-tour, que d’examiner à la fois, pour un bassin de retenue, les problèmes d’alimentation, d’étanchéité, de sédimentation, ou encore de prospecter les gisements de matériaux de construction naturels et artificiels et d’organiser leur mise en valeur. La géologie de l’ingénieur permet également d’établir, pour les ressources en eaux souterraines, les modalités de prospection, d’extraction, de réalimentation, tout en éliminant les dangers de pollution et les dommages en surface, ou d’implanter routes, voies ferrées, tunnels, carrières à ciel ouvert ou souterraines; elle assure aussi le contrôle de l’altération météorique, de l’érosion, des glissements de terrains, des risques sismiques et volcaniques, des subsidences naturelles ou provoquées par l’homme, des drainages et des envasements; elle prépare le stockage, en surface ou souterrain, de stériles ou de résidus nocifs. Son rôle est ainsi fondamental dans l’urbanisation, l’aménagement des territoires et la protection de l’environnement.

Sources

La géologie de l’ingénieur se fonde sur les données des sciences minérales, de la géologie et du génie civil. Après l’inventaire des documents disponibles (publications, archives, cartes géologiques, géotechniques, hydrogéologiques, pédologiques...), elle tend à réunir tous les éléments qui caractérisent la nature, la texture et la structure des sols et des roches, et la nature, les propriétés et le comportement des eaux superficielles et souterraines.

Elle tient également compte des modifications qu’engendrent l’altération, l’érosion, la sédimentation, la circulation des eaux, ou la déformation de la surface du sol. Elle prend aussi en considération les influences anthropiques, dans la mesure où elles provoquent des dégradations, accélèrent ou aggravent les processus naturels ou encore créent de nouvelles conditions. Ainsi, les études de grands tunnels routiers dans les zones montagneuses comportent: géologie de terrain, tectonique, lithostratigraphie, reconstitutions paléogéographiques, hydrogéologie, hydrométéorologie, hydrologie, hydrochimie, datation isotopique des eaux, prospection géophysique de surface et, par diagraphies, en sondages, minéralogie, pétrographie, microtectonique, mécanique des roches, sismotectonique.

La connaissance du passé géologique et des caractéristiques qui en résultent livre les principales clefs de la situation présente et régit l’avenir des ouvrages et des réalisations de l’homme.

Méthodes

La géologie de l’ingénieur consiste d’abord en une série de reconnaissances exhaustives: on tient compte de toutes les particularités naturelles ou anthropiques du sol et du sous-sol, des multiples sujétions inhérentes à un projet donné, des répercussions des travaux sur les conditions préexistantes. Les observations naturalistes s’effectuent avec la rigueur scientifique nécessaire à une analyse qualitative poussée, mais leur échelle, leur densité, leur caractère quantitatif sont souvent fixés par le type d’ouvrage à réaliser.

Ce travail exige la création d’une équipe interdisciplinaire en relation avec les ingénieurs de projet et d’exécution, sans lesquels le choix des éléments à mettre en évidence risque d’être inexact ou incomplet. L’obligation de respecter les délais et les budgets, et de parler une langue commune, renforce encore cette tendance interdisciplinaire. On commence par dresser collégialement l’inventaire de la documentation disponible, des faits à relever, des paramètres à déterminer, et des modalités de recherches utilisables; puis, on décide du choix des essais à réaliser et on procède à l’échantillonnage aux endroits requis; enfin on obtient les données exigées par des recherches croisées qui assurent un contrôle mutuel de ces données. L’interprétation en commun des résultats ne marque pas le terme d’une collaboration qui se maintient au cours de l’exécution et même à l’occasion de contrôles ultérieurs.

Les procédés mis en œuvre, qui ne cessent de se multiplier, sont de plus en plus élaborés et complémentaires. Par exemple, en région karstique, la prospection géophysique utilise concurremment les méthodes sismique, gravimétrique, électrique, magnéto-électrique, et l’on fait appel à toute une gamme de procédés depuis la photogéologie et ses perfectionnements (infrarouge, par exemple), les diagraphies variées (sondages: sonic, gamma-gamma, gamma-neutron, mesures de résistivités, etc.), les télélogs, etc. jusqu’à l’auscultation acoustique ou l’enregistrement aéroporté de l’intensité du flux thermique à la surface du sol.

Les études de géologie de l’ingénieur ont pour objectif de réaliser l’adaptation optimale à la situation réelle d’un grand site ou d’une région d’une œuvre humaine telle que grands travaux de génie civil, aménagement du territoire, prévention de risques géologiques. L’expérience a montré que de la qualité de cette adaptation dépendent l’efficacité, l’économie et la sécurité, c’est-à-dire finalement la «faisabilité» d’une entreprise. On s’efforce, malgré l’intervention simultanée de nombreux paramètres interdépendants, d’atteindre, par des investigations pluridisciplinaires d’une précision accrue, un niveau correspondant aux progrès des essais et des méthodes du génie civil et aux impératifs techniques et socio-économiques de notre époque.

Dans cette voie, la géologie urbaine utilise toutes les méthodes de prospection du sous-sol, et la géologie de l’environnement s’intègre dans l’examen des systèmes naturels, complexes et solidaires, et s’attache à prévoir l’évolution des phénomènes et des œuvres humaines susceptibles d’en modifier le cours.

Progrès et tendances d’avenir

Outre les progrès répercutés par les disciplines sollicitées, la géologie de l’ingénieur doit répondre aux exigences vitales de la société industrielle: expansion démographique, urbanisation explosive (les surfaces bâties auront doublé au cours du siècle et le budget correspondant est le plus élevé des dépenses publiques), travaux d’infrastructure, consommation en croissance exponentielle des ressources minérales et énergétiques non renouvelables ou vulnérables (eau) interfèrent de plus en plus avec la sécurité, la qualité de la vie... Populations et gouvernements sont, d’autre part, davantage préoccupés par les risques géologiques: les accidents survenant aux barrages sont en effet pratiquement toujours imputables à une connaissance insuffisante ou erronée des conditions géologiques et des modifications introduites par l’exécution des travaux; l’implantation de centrales nucléaires impose de déterminer à l’échelle régionale l’existence de failles actives ou, mieux, de failles «capables», c’est-à-dire ayant provoqué des mouvements superficiels une fois depuis 35 000 ans, ou plusieurs fois depuis 500 000 ans, et dès lors supposées capables d’en produire de nouveaux pendant la durée de vie de l’ouvrage. On pourrait multiplier les exemples: stockage aérien de stériles (terrils, crassiers, etc.) instables ou générateurs de pollution, stockage souterrain de matières utiles à maintenir intactes, mais aussi de produits résiduels encombrants, voire toxiques, etc.

Parmi les conséquences de l’essor récent de la géologie de l’ingénieur, quelques-unes méritent de retenir l’attention. À côté de la promotion du travail d’équipe et des échanges internationaux, de grandes enquêtes ont été entreprises à l’échelle mondiale: classification des matériaux minéraux, de construction et industriels; problèmes de géologie de l’ingénieur en régions karstiques; déplacements de terrains en masse; comportement des argiles sensibles; géotechnique et planification urbaines; stockage des résidus urbains, industriels et radioactifs; utilisation des ordinateurs; comparaison des méthodes d’enseignement de la géologie de l’ingénieur élaborées dans les universités des pays industrialisés et des pays en voie de développement.

Les investigations couvrent l’éventail complet des actions anthropiques éclairant le rôle, souvent déterminant, de l’eau: exhaure dans les zones minières, rabattement des nappes aquifères par pompage et captage, dissolutions et subsidences provoquées, conséquences d’injections dans le sous-sol, imperméabilisation de la surface du sol, modifications des circulations d’eaux souterraines, détection d’exploitations et de cavités anciennes, etc.

Il en résulte une influence croissante de la géologie de l’ingénieur dans l’examen des problèmes, dont les conséquences socio-économiques doivent orienter les décisions officielles. Pour des ressources de faible valeur intrinsèque, l’exploitabilité est précaire et l’exploitation de ressources même de grande valeur ne peut se justifier que si la sécurité est garantie. Des intérêts contradictoires se trouvent ainsi confrontés: faut-il interdire l’extraction de graviers dans tel gisement qui constitue un réservoir aquifère? Comment prévoir l’utilisation d’un site à divers usages débouchant sur une restauration valable?

Diverses expériences tendent enfin à démontrer que près des trois quarts des dommages résultant de causes géologiques ou de carences dans les connaissances géologiques pourraient être évités, dans l’état actuel des sciences et des techniques, grâce à un programme rationnel de recherches qui ne coûterait que 10 p. 100 environ du montant des dommages possibles au cours des deux prochaines décennies. Les progrès dans les connaissances, les méthodes de prévention et de construction permettront d’améliorer encore le bilan.

Les mêmes tendances d’avenir apparaissent dans la plupart des pays. Dans la détermination des relations entre caractéristiques géologiques et propriétés à considérer en géologie de l’ingénieur, les investigations s’étendent de l’échelle du cristal ou du grain à celle de l’agrégat puis à celle des massifs hétérogènes et discontinus. Cette approche réduit considérablement la dispersion des résultats expérimentaux. Les analyses structurales s’attachent à la mésotectonique et à la microtectonique: on définit les étapes successives de la déformation interne et externe des roches, et les phénomènes à considérer dans les procédés de soutènement et de consolidation. Les nappes aquifères de fissures font l’objet d’études particulières: pour ces nappes, on a signalé des rabattements de grande extension provoqués par des ouvrages souterrains, l’assèchement du réseau hydrographique, des risques de pollution élevés et la nécessité de maintenir des zones de protection étendues.

La collecte et la diffusion des résultats demandent un effort considérable et notamment une collaboration étroite entre géologues, géotechniciens et informaticiens pour l’élaboration de banques de données, de cartes géotechniques et de cartes prévisionnelles. D’une manière générale, les recherches propres à la géologie de l’ingénieur lui permettent d’offrir aujourd’hui une ample moisson de données aux diverses sciences géologiques dont elle est issue et dont elle demeure solidaire.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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